E-Book, Französisch, Band 586, 319 Seiten
Wüest Une histoire des connecteurs logiques
1. Auflage 2023
ISBN: 978-3-8233-0489-0
Verlag: Narr Francke Attempto Verlag
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
Causalité, argumentation, conséquence, finalité et concession
E-Book, Französisch, Band 586, 319 Seiten
Reihe: Tübinger Beiträge zur Linguistik (TBL)
ISBN: 978-3-8233-0489-0
Verlag: Narr Francke Attempto Verlag
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
La tradition grammaticale nous propose une classification des connecteurs qui tient insuffisamment compte du fait que la plupart d'entre eux sont polysémiques. Le plus grand défaut de la classification traditionnelle, c'est qu'elle ignore l'argumentation, qui est une fonction logique fondamentale. Nous proposerons donc une nouvelle catégorisation des connecteurs logiques (y incluant la conséquence, la finalité et la concession) et nous la testerons en analysant 18 textes francais, de la chanson de Roland jusqu'au francais parlé parisien des années 2000.
Prof. Dr. Jakob Wüest ist emeritierter Professor für galloromanische Sprachwissenschaft an der Universität Zürich.
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Dans Wüest (2011), j’ai défendu la thèse selon laquelle une suite de phrases ne devient un texte qu’à partir du moment où il existe des liens entre ces phrases. Or, ces liens ne sont pas toujours explicites. Soient données les deux phrases : (0.1) Je dois partir. Je ne veux pas manquer mon train On aura compris que l’horaire du train sert ici à justifier le départ du locuteur. En l’absence d’une marque explicite, l’allocutaire est pourtant obligé de deviner l’existence d’un tel lien, car renoncer à en chercher un serait se condamner à ne voir là que deux phrases juxtaposées par hasard. Il est donc préférable d’admettre, au moins jusqu’à preuve du contraire, qu’il existe un lien entre ces phrases. Cependant, les langues mettent aussi à notre disposition des moyens pour expliciter le rapport entre les phrases, et c’est ce qui nous intéresse ici : (0.1’) Je dois partir parce que je ne veux pas manquer mon train Parce que est ce que les grammaires appellent une conjonction, une conjonction de subordination pour être précis. Grammaticalement, la cause est subordonnée à la conséquence dans (0.1’), alors que, dans (0.1), nous avons affaire à deux phrases indépendantes. Il en va de même si j’utilise, à la place de la conjonction de subordination parce que la conjonction de coordination car. Cela m’amène à distinguer entre un plan morphosyntaxique, celui traditionnel de la grammaire, et un plan sémantico-?pragmatique. Sur ce dernier plan, la relation entre les deux phrases reste la même ; elle ne change que sur le plan morphosyntaxique. Sur le plan sémantico-?pragmatique, nous parlons d’ailleurs plus volontiers d’actes de langage que de phrases, et il existe des théories qui s’occupent des rapports entre les actes de langage. C’est le cas de la théorie de la hiérarchie illocutoire de Margareta Brandt et d’Inger Rosengren (1992) et de la Rhetorical Structure Theory (RST) de William C. Mann et de Sandra A. Thompson (1988, cf. aussi Mann / Taboada 2005-2018). Cette dernière théorie conçoit le rapport entre la conséquence et la cause comme le rapport entre un nucléus et un satellite, alors que, pour Brandt et Rosengren, la conséquence est l’acte dominant et la cause l’acte subordonné, ce qui revient au même. Dans les deux théories, la cause est par conséquent subordonnée à la conséquence, quel que soit le rapport grammatical. Les deux linguistes suédoises distinguent d’ailleurs deux types d’actes subordonnées : les actes complémentaires, qui ne font qu’apporter des compléments d’information, et les actes subsidiaires, sur lesquels s’appuient les actes dominants. Nous préférons dire que les relations entre les actes dominants et les actes subsidiaires sont de nature logique, et nous considérons le rapport de cause à conséquence comme le prototype d’une relation logique. La causalité n’est pourtant pas l’unique relation logique. Nous aborderons dans ce livre également l’argumentation, la conséquence, la finalité et la concession. L’argumentation n’existe pourtant pas dans la classification traditionnelle des grammaires. Car est ainsi considéré comme une conjonction causale, mais, dans la phrase suivante, elle n’exprime pas une relation de cause à conséquence : (0.2) Pierre est chez lui, car ses fenêtres sont éclairées Le fait que les fenêtres de Pierre soient éclairées n’est pas la cause de sa présence ; ce n’en est qu’un indice. Autrement dit, il s’agit là d’un argument qui a pour fonction de rendre vraisemblable la conclusion que Pierre est chez soi. C’est une autre relation logique, qui repose sur un rapport de vraisemblance, mais pour laquelle le français ne dispose pas de marques spécifiques et, sur ce plan, le français n’est pas seul. Dès lors, est-?il nécessaire de distinguer entre causalité et argumentation ? L’infinie diversité de la réalité nous permet certes de multiplier les catégories à volonté, mais ce qui nous intéresse ici, c’est la catégorisation qu’opère la langue. Or, puisqu’il y a des locutions conjonctives en français, comme vu que, étant donné que, de peur que, etc., qui sont toujours causaux et jamais argumentatifs, ce sont là deux catégories dont on ne pourra se passer pour la description grammaticale du français. Mais où passe alors la limite entre les deux catégories ? Dans un article de 2012, j’ai essayé de définir les critères qui permettent de distinguer l’argumentation de la causalité, sans vraiment réussir à résoudre le problème. C’est ce qui m’a amené à le reprendre dans le premier chapitre de ce livre. Par la suite, on appliquera nos résultats dans un cadre plus large, à la fois historique et consacré à l’ensemble des connecteurs logiques. La conséquence est, en revanche, une catégorie traditionnelle. C’est également une relation de cause à conséquence, mais où la cause, et non plus la conséquence, se trouve au centre d’intérêt : (0.3) a. Les routes sont bloquées [conséquence] parce que la neige tombe drue [cause] b. La neige tombe drue [cause], de sorte que les routes sont bloquées [conséquence] Cependant, il y a une autre façon d’exprimer cette relation, que les grammaires ne traitent pas dans le chapitre des phrases consécutives : c. La neige tombe drue ; par conséquent, les routes sont bloquées Or, de sorte que, dans (0.3b), est taxé de locution conjonctive, et par conséquent, dans (0.3c), de locution adverbiale. Il se trouve alors que ces deux types de locutions sont traités dans deux chapitres différents de la grammaire, et l’on ne parlera de conséquence que dans le premier cas. À vrai dire, il existe une catégorie d’adverbes qui servent également à lier les phrases, et que l’on peut appeler adverbes conjonctifs. Ceux-?ci appartiennent à la catégorie générale des connecteurs, dont les conjonctions (de subordination et de coordination) ne forment qu’une sous-?catégorie, au même titre que les adverbes conjonctifs. Les connecteurs se définissent par la propriété de lier explicitement des phrases entre elles. J’insiste sur le fait que c’est là une définition sémantico-?pragmatique et non pas syntaxique ou morphologique, comme les aime la tradition grammaticale. Au fond, les conjonctions (et locutions conjonctives) ne sont pas une véritable catégorie grammaticale comme l’article ou le pronom relatif. Les grammairiens en ont fait une, en la définissant par une propriété syntaxique : les conjonctions occupent toujours la première position dans la phrase. Au contraire, par conséquent n’a pas de place fixe, car on peut aussi dire les routes sont par conséquent bloquées, ou encore les routes sont bloquées, par conséquent. Par conséquent n’est donc pas considéré comme une locution conjonctive. Il est vrai qu’il y a aussi des locutions causales comme à cause de, en raison de, par suite à ou grâce à, qui ont une fonction causale, tout en n’étant jamais argumentatives. C’est un phénomène marginal pour nous, parce que ce livre sera consacré au rapport logique entre les phrases. Et, si par conséquent introduit une phrase indépendante, les locutions causales que nous venons d’énumérer introduisent seulement un syntagme de la phrase. La finalité est une conséquence envisagée, mais pas nécessairement atteinte. On peut d’ailleurs paraphraser une phrase finale par une causale contenant le verbe vouloir, ce qui montre bien que la finalité appartient aux relations causales : (0.4) a. J’ai klaxonné pour avertir les piétons b. J’ai klaxonné parce que je voulais avertir les piétons Le cas de la concession est plus complexe. Je dois même avouer avoir hésité à l’introduire parmi les relations logiques. Oswald Ducrot (surtout Ducrot 1972, 128) a pourtant fondé la théorie de l’Argumentation Dans la Langue (ADL), qu’il a développée avec Jean-?Claude Anscombre (1977), sur une analyse argumentative de mais, présentée comme le prototype d’une relation concessive. Cela est surprenant dans la mesure où la grammaire traditionnelle ne parle de concession qu’à propos des adverbes du type pourtant et des conjonctions de subordination du type bien que. Mais formerait en revanche une catégorie à lui seul : ce serait une conjonction adversative. Il me paraît pourtant difficile de nier que les trois phrases suivantes soient équivalentes : (0.5) a. Paul est fort, mais il est petit pour son âge b. Paul est fort. Il est pourtant...