E-Book, Französisch, 406 Seiten
Weil L'Enracinement : Prélude à une déclaration des devoirs envers l'être humain
1. Auflage 2022
ISBN: 978-2-322-42990-5
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
Le chef-d'oeuvre posthume de Simone Weil
E-Book, Französisch, 406 Seiten
ISBN: 978-2-322-42990-5
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
L'Enracinement, prélude à une déclaration des devoirs envers l'être humain est un court ouvrage, écrit par la philosophe française Simone Weil. Il a été rédigé à Londres entre janvier et avril 1943, alors que son autrice était engagée dans la France libre ; le général de Gaulle avait fait demander à Simone Weil un rapport sur les possibilités de redressement de la France, et souhaitait pour la Libération une nouvelle Déclaration des droits de l'Homme. Non achevé, il a été publié post-mortem par Albert Camus en 1949, qui y vit « à la fois l'exact rapport demandé et l'un des livres les plus lucides, les plus élevés, les plus beaux qu'on ait écrits depuis fort longtemps sur notre civilisation ». Le livre a également été décrit par Hannah Arendt comme « l'un des ouvrages les plus intelligents et lucides sur son temps ».
Simone Adolphine Weil est une philosophe humaniste, née à Paris le 3 février 1909 et morte à Ashford (Angleterre) le 24 août 1943.
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PREMIÈRE PARTIE
LES BESOINS DE L’ÂME
La notion d'obligation prime celle de droit, qui lui est subordonnée et relative. Un droit n'est pas efficace par lui-même, mais seulement par l'obligation à laquelle il correspond ; l'accomplissement effectif d'un droit provient non pas de celui qui le possède, mais des autres hommes qui se reconnaissent obligés à quelque chose envers lui. L'obligation est efficace dès qu'elle est reconnue. Une obligation ne serait-elle reconnue par personne, elle ne perd rien de la plénitude de son être. Un droit qui n'est reconnu par personne n'est pas grand-chose. Cela n'a pas de sens de dire que les hommes ont, d'une part des droits, d'autre part des devoirs. Ces mots n'expriment que des différences de point de vue. Leur relation est celle de l'objet et du sujet. Un homme,considéré en lui-même, a seulement des devoirs, parmi lesquels se trouvent certains devoirs envers lui-même. Les autres, considérés de son point de vue, ont seulement des droits. Il a des droits à son tour quand il est considéré du point de vue des autres, qui se reconnaissent des obligations envers lui. Un homme qui serait seul dans l'univers n'aurait aucun droit, mais il aurait des obligations. La notion de droit, étant d'ordre objectif, n'est pas séparable de celles d'existence et de réalité. Elle apparaît quand l'obligation descend dans le domaine des faits ; par suite elle enferme toujours dans une certaine mesure la considération des états de fait et des situations particulières. Les droits apparaissent toujours comme liés à certaines conditions. L'obligation seule peut être inconditionnée. Elle se place dans un domaine qui est au-dessus de toutes conditions, parce qu'il est au-dessus de ce monde. Les hommes de 1789 ne reconnaissaient pas la réalité d'un tel domaine. Ils ne reconnaissaient que celle des choses humaines. C'est pourquoi ils ont commencé par la notion de droit. Mais en même temps ils ont voulu poser des principes absolus. Cette contradiction les a fait tomber dans une confusion de langage et d'idées qui est pour beaucoup dans la confusion politique et sociale actuelle. Le domaine de ce qui est éternel, universel, inconditionné, est autre que celui des conditions de fait, et il y habite des notions différentes qui sont liées à la partie la plus secrète de l'âme humaine. L'obligation ne lie que les êtres humains. Il n'y a pas d'obligations pour les collectivités comme telles. Mais il y en a pour tous les êtres humains qui composent, servent, commandent ou représentent une collectivité, dans la partie de leur vie liée à la collectivité comme dans celle qui en est indépendante. Des obligations identiques lient tous les êtres humains, bien qu'elles correspondent à des actes différents selon les situations. Aucun être humain, quel qu'il soit, en aucune circonstance, ne peut s'y soustraire sans crime ; excepté dans les cas où, deux obligations réelles étant en fait incompatibles, un homme est contraint d'abandonner l'une d'elles. L'imperfection d'un ordre social se mesure à la quantité de situations de ce genre qu'il enferme. Mais même en ce cas il y a crime si l'obligation abandonnée n'est pas seulement abandonnée en fait, mais est de plus niée. L'objet de l'obligation, dans le domaine des choses humaines, est toujours l'être humain comme tel. Il y obligation envers tout être humain, du seul fait qu'il est un être humain, sans qu'aucune autre condition ait à intervenir, et quand même lui n'en reconnaîtrait aucune. Cette obligation ne repose sur aucune situation de fait, ni sur les jurisprudences, ni sur les coutumes, ni sur la structure sociale, ni sur les rapports de force, ni sur l'héritage du passé, ni sur l'orientation supposée de l'histoire. Car aucune situation de fait ne peut susciter une obligation. Cette obligation ne repose sur aucune convention. Car toutes les conventions sont modifiables selon la volonté des contractants, au lieu qu'en elle aucun changement dans la volonté des hommes ne peut modifier quoi que ce soit. Cette obligation est éternelle. Elle répond à la destinée éternelle de l'être humain. Seul l'être humain a une destinée éternelle. Les collectivités humaines n'en ont pas. Aussi n'y a-t-il pas à leur égard d'obligations directes qui soient éternelles. Seul est éternel le devoir envers l'être humain comme tel. Cette obligation est inconditionnée. Si elle est fondée sur quelque chose, ce quelque chose n'appartient pas à notre monde. Dans notre monde, elle n'est fondée sur rien. C'est l'unique obligation relative aux choses humaines qui ne soit soumise à aucune condition. Cette obligation a non pas un fondement, mais une vérification dans l'accord de la conscience universelle. Elle est exprimée par certains des plus anciens textes écrits qui nous aient été conservés. Elle est reconnue par tous dans tous les cas particuliers où elle n'est pas combattue par les intérêts ou les passions. C'est relativement à elle qu'on mesure le progrès. La reconnaissance de cette obligation est exprimée d'une manière confuse et imparfaite, mais plus ou moins imparfaite selon les cas, par ce qu'on nomme les droits positifs. Dans la mesure où les droits positifs sont en contradiction avec elle, dans cette mesure exacte ils sont frappés d'illégitimité. Quoique cette obligation éternelle réponde à la destinée éternelle de l'être humain, elle n'a pas cette destinée pour objet direct. La destinée éternelle d'un être humain ne peut être l'objet d’aucune obligation, parce qu'elle n'est pas subordonnée à des actions extérieures. Le fait qu'un être humain possède une destinée éternelle n'impose qu'une seule obligation ; c'est le respect. L'obligation n'est accomplie que si le respect est effectivement exprimé, d'une manière réelle et non fictive ; il ne peut l'être que par l'intermédiaire des besoins terrestres de l'homme. La conscience humaine n'a jamais varié sur ce point. Il y a des milliers d'années, les Egyptiens pensaient qu'une âme ne peut pas être justifiée après la mort si elle ne peut pas dire : « Je n'ai laissé personne souffrir de la faim. » Tous les chrétiens se savent exposés à entendre un jour le Christ lui-même leur dire : « J'ai eu faim et tu ne m’as pas donné à manger. » Tout le monde se représente le progrès comme étant d'abord le passage à un état de la société humaine où les gens ne souffriront pas de la faim. Si on pose la question en termes généraux à n'importe qui, personne ne pense qu'un homme soit innocent si, ayant de la nourriture en abondance et trouvant sur le pas de sa porte quelqu'un aux trois quarts mort de faim, il passe sans rien lui donner. C'est donc une obligation éternelle envers l'être humain que de ne pas le laisser souffrir de la faim quand on a l'occasion de le secourir. Cette obligation étant la plus évidente, elle doit servir de modèle pour dresser la liste des devoirs éternels envers tout être humain. Pour être établie en toute rigueur, cette liste doit procéder de ce premier exemple par voie d'analogie. Par conséquent, la liste des obligations envers l'être humain doit correspondre à la liste de ceux des besoins humains qui sont vitaux, analogues à la faim. Parmi ces besoins, certains sont physiques, comme la faim elle-même. Ils sont assez faciles à énumérer. Ils concernent la protection contre la violence, le logement, les vêtements, la chaleur, l'hygiène, les soins en cas de maladie. D'autres, parmi ces besoins, n'ont pas rapport avec la vie physique, mais avec la vie morale. Comme les premiers cependant ils sont terrestres, et n'ont pas de relation directe qui soit accessible à notre intelligence avec la destinée éternelle de l'homme. Ce sont, comme les besoins physiques, des nécessités de la vie d'ici-bas. C'est-à-dire que s'ils ne sont pas satisfaits, l'homme tombe peu à peu dans un état plus ou moins analogue à la mort, plus ou moins proche d'une vie purement végétative, Ils sont beaucoup plus difficiles à reconnaître et à énumérer que les besoins du corps. Mais tout le monde reconnaît qu'ils existent. Toutes les cruautés qu'un conquérant peut exercer sur des populations soumises, massacres, mutilations, famine organisée, mise en esclavage ou déportations massives, sont généralement considérées comme des mesures de même espèce, quoique la liberté ou le pays natal ne soient pas des nécessités physiques. Tout le monde a conscience qu'il y a...