E-Book, Französisch, 419 Seiten
Sue Martin, l'enfant trouvé
1. Auflage 2021
ISBN: 978-2-322-40022-5
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
Tome IV
E-Book, Französisch, 419 Seiten
ISBN: 978-2-322-40022-5
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
Martin, abandonné dès son plus jeune âge par son père, un comte autoritaire, dépravé, sans coeur, connaîtra la vie des enfants trouvés de cette époque. Mais grâce à son bon fond, il surmontera sa vie cauchemardesque, et retrouvera son père. Épilogue très moral... Eugène Sue nous expose dans ces quatre volumes sa thèse socialiste, dénonce l'affreuse misère des travailleurs et nous décrit de manière peu flatteuse la classe des nantis.
Marie-Joseph Sue dit Eugène Sue, né le 26 janvier 1804 à Paris et mort en exil le 3 août 1857 à Annecy-le-Vieux, est un écrivain français. Il est principalement connu pour deux de ses romans-feuilletons à caractère social : Les Mystères de Paris et Le Juif errant.
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HUITIÈME VOLUME
CHAPITRE I.
JOURNAL DE MARTIN (Suite).
Je touchais enfin à ce but poursuivi depuis si long-temps. Malgré moi, une sorte de rapide hallucination me présentait toutes les phases de mon amour, depuis ma première rencontre avec Régina dans la forêt de Chantilly… jusqu’à aujourd’hui ; en résumant ainsi l’active influence qu’il m’avait été donné d’exercer, sur la vie de cette belle jeune femme si hautement placée, j’ai songé avec une sorte de frayeur que ces joies si pures que je goûte à cette heure, j’avais été sur le point, dans ma sauvage ardeur sensuelle, de les sacrifier à une violence infâme qui m’eût conduit à l’ignominie ou au suicide. Mais combien j’ai eu à lutter, à souffrir… combien, hélas ! j’aurai à souffrir encore… car j’aime toujours Régina… je l’aime plus passionnément que jamais… Oh ! cet amour ne finira qu’avec ma vie. Soudain la sonnette de la princesse a violemment retenti, j’ai couru au parloir ; au moment où j’allais y entrer, j’ai entendu ces mots dits par Régina à son mari avec entraînement : – Ah ! Georges ! le dévouement de ma vie tout entière ne m’acquittera jamais envers vous ! J’ai craint, en entrant aussitôt, de laisser deviner mon émotion, car ces paroles de Régina, ou plutôt le sentiment d’ineffable reconnaissance qu’elles exprimaient, n’était-ce pas au vengeur de la mémoire de sa mère et par conséquent à moi… qu’ils s’adressaient ? Je suis donc resté une seconde derrière les rideaux des portières, puis les soulevant à demi : – Madame la princesse a sonné ? – Oui… attendez… – m’a-t-elle dit vivement, en ployant en hâte une lettre qu’elle venait d’écrire. Les joues de Régina étaient colorées, ses yeux, humides de larmes, brillaient d’une joie radieuse. Le prince, debout devant la cheminée, et extrêmement pâle, se trouvait sous l’empire d’une émotion telle, que je remarquai le tremblement involontaire dont toute sa personne était agitée ; pourtant, malgré ces tressaillements, malgré cette pâleur, un bonheur contenu se lisait sur ses traits… Il espérait… sans doute. Régina, finissant de cacheter une lettre qu’elle venait d’écrire, m’a dit d’une voix pour ainsi dire palpitante de joie : – Cette lettre… chez mon père… à l’instant et à lui-même, entendez-vous ? à lui-même. Ma voiture est attelée… prenez-la… pour être plus tôt arrivé… Ne perdez pas une minute,… pas une seconde… – Je ferai observer à Madame la princesse… – Quoi ? – me dit-elle impatiemment. – Que peut-être M. Melchior ne voudra pas me laisser arriver jusqu’à M. le baron… – C’est vrai – dit Régina, en se retournant vers son mari – vous le voyez bien, il vaut mieux que j’y aille moi-même. Faites vite avancer ma voiture, – me dit-elle. – Je vous assure – dit le prince – que, dans l’état de faiblesse où est votre père, votre présence inattendue, et surtout… dans cette circonstance – ajouta-t-il en appuyant sur ce mot – peut lui causer la plus dangereuse révolution. Votre lettre, au contraire, le préparera à votre visite,… et cela vaudra infiniment mieux pour lui… croyez-moi. – Vous avez peut-être raison… Mais pourtant si Melchior, et vous connaissez cet homme, ne veut pas laisser arriver Martin auprès de mon père ? – J’irais bien moi-même – dit le prince en réfléchissant, – mais l’inconvénient serait le même… Je m’y résoudrai pourtant si votre lettre ne peut être remise entre les mains de votre père. Mais il me paraît impossible qu’elle ne le soit pas. – Puis, s’adressant à moi, M. de Montbar me dit impérativement : – Il faut que vous remettiez cette lettre entre les mains de M. de Noirlieu, entendez-vous ?… il le faut… – Prince… je tâcherai, – dis-je humblement. – Il ne s’agit pas de tâcher, – reprit le prince avec hauteur, – il faut que cela soit. Vous insisterez auprès de Melchior ; vous exigerez, en lui disant que vous avez l’ordre de Mme de Montbar… et à moins que vous ne soyez d’une maladresse sans pareille… – Prince… ce ne sera pas ma faute si je ne… – Assez… – me dit durement M. de Montbar. – Partez vite, Martin, et faites tout votre possible, – m’a dit la princesse avec bonté, trouvant sans doute le prince bien sévère pour moi. – D’une façon ou d’une autre, revenez ici en toute hâte. Et je vous l’ai dit, prenez ma voiture. – Oui, Madame la princesse. – Et montez-y convenablement, – ajouta le prince. Et comme je le regardais, ébahi de cette recommandation, il haussa les épaules et me tourna le dos. À peine étais-je sorti du parloir que j’entendis M. de Montbar dire à Régina, en parlant évidemment de moi : – Mais il est stupide ! – Ce n’est pas un aigle… mais il est probe et zélé – a répondu ma maîtresse. La dureté du prince à mon égard n’avait pas été au-delà des bornes d’une de ces réprimandes, un peu trop sévères peut-être, que l’on adresse journellement à mes pareils ; mais le cœur de l’homme est ainsi fait, ou plutôt l’habitude de la réflexion et de l’observation était portée chez moi à un tel point, que j’eus d’abord un vif ressentiment des hautaines paroles de M. de Montbar, et, bien plus, d’un point de départ aussi puéril en apparence, j’arrivai d’induction en induction à me demander, si le prince était vraiment digne de la généreuse commisération et de l’affectueux intérêt dont je lui avais donné tant de preuves pendant la nuit, s’il méritait enfin le service immense que je lui avais rendu en lui confiant les papiers de famille, qui avaient déjà eu tant d’influence sur ses relations avec la princesse. Je me demandai cela, non pas parce que M. de Montbar m’avait traité durement et trouvé stupide, non pas parce qu’au moment de son entrevue avec Régina, entrevue capitale pour lui (ceci m’est alors aussi revenu à l’esprit), il avait pu songer à me reprocher rudement l’inconvenance de mon tablier du matin, mais parce qu’un homme aussi heureux que me semblait l’être M. de Montbar, après avoir entendu la princesse lui dire que le dévouement de sa vie entière ne suffirait pas à s’acquitter envers lui, devait, selon moi, dans un pareil moment, ne trouver, même pour ses serviteurs en faute, que des paroles d’indulgence, de bonté… car ceux-là chez qui le bonheur n’éveille pas des sentiments remplis de mansuétude, ceux-là ne sont pas complètement dignes d’être heureux. En réfléchissant à ce jugement que je portais sur M. de Montbar, je me demandai encore si, malgré moi, et à mon insu, je n’obéissais pas à un ressentiment d’amour-propre blessé, si ma susceptibilité n’aurait pas été irritée par la dure réprimande du prince. En vain je me suis interrogé sévèrement à ce sujet : la dureté de M. de Montbar, en tant que symptôme et en m’isolant complètement, m’a laissé une impression mauvaise sur la bonté de son cœur. Toutes ces pensées me sont venues en moins de temps qu’il ne m’en faut pour les écrire ; je descendais de ma chambre où j’étais allé me vêtir convenablement (ainsi que disait le prince) pour me rendre chez M. de Noirlieu, lorsque je rencontrai le bon vieux Louis, tout joyeux de la joie que son maître n’avait pas sans doute cachée devant lui ; la rencontre venait à propos, car je me trouvais très-embarrassé au sujet de la recommandation du prince qui m’avait dit de monter convenablement dans la voiture de sa femme. – Monsieur Louis, – lui dis-je, – j’ai à vous demander vite un conseil. – De quoi s’agit-il, mon cher ami ? – Mme la princesse m’envoie chez son père avec une lettre si pressée, si importante, à ce qu’il paraît, que j’ai ordre de prendre la berline de Madame. Dois-je monter derrière ? à côte du cocher ? ou dedans ?… – Dedans, mon cher ami, dedans, – me répondit le vieux Louis d’un air capable, – car vous n’êtes pas de livrée, vous êtes chargé d’une commission très-importante… C’est comme lorsque le prince m’a envoyé porter la corbeille de mariage chez Mlle de Noirlieu… je suis monté avec le coffret de diamants dans la berline attelée en gala… Mais, bien entendu, selon le respect que l’on doit à ses maîtres, je ne me suis assis que sur le devant de la berline, tandis que les autres présents suivaient dans le coupé aussi attelé en gala… c’est donc dedans, mon cher ami… qu’il faut monter. – Merci, Monsieur Louis. J’allais courir aux écuries, lorsque le formaliste vieillard me retint par le bras et me dit en paraissant attacher la plus grande importance à cette recommandation : – Et surtout, je vous le répète, ne vous asseyez que sur le devant de la voiture, sans cela vous prendriez une liberté impardonnable… – Soyez tranquille, Monsieur Louis ; maintenant que vous m’avez averti, je suis incapable d’un pareil manque de respect. J’avais déjà descendu quatre marches, lorsque le vieux Louis me rappela d’un air effaré en s’écriant : – Martin… écoutez donc !… Ah ! mon Dieu, j’avais encore oublié cela… – Quoi donc, Monsieur Louis ? – Et surtout… surtout…...