E-Book, Französisch, 419 Seiten
Sue Martin, l'enfant trouvé
1. Auflage 2021
ISBN: 978-2-322-40019-5
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
Tome II
E-Book, Französisch, 419 Seiten
ISBN: 978-2-322-40019-5
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
Martin, abandonné dès son plus jeune âge par son père, un comte autoritaire, dépravé, sans coeur, connaîtra la vie des enfants trouvés de cette époque. Mais grâce à son bon fond, il surmontera sa vie cauchemardesque, et retrouvera son père. Épilogue très moral... Eugène Sue nous expose dans ces quatre volumes sa thèse socialiste, dénonce l'affreuse misère des travailleurs et nous décrit de manière peu flatteuse la classe des nantis.
Marie-Joseph Sue dit Eugène Sue, né le 26 janvier 1804 à Paris et mort en exil le 3 août 1857 à Annecy-le-Vieux, est un écrivain français. Il est principalement connu pour deux de ses romans-feuilletons à caractère social : Les Mystères de Paris et Le Juif errant.
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QUATRIÈME VOLUME
CHAPITRE I.
CLAUDE GÉRARD, L’INSTITUTEUR COMMUNAL.
Claude Gérard ! je ne puis écrire ce nom sans un profond sentiment d’admiration, de tendresse et de reconnaissance ineffable ! Je dirai tout-à-l’heure comment je connus Claude Gérard. Quelque temps s’était passé depuis que, dans la forêt de Chantilly, j’avais enlevé Régina, tandis que Bamboche entraînait le vicomte Scipion. Après avoir erré dans ces bois, le hasard nous jeta sur le passage d’une ronde de gendarmes des chasses. Scipion cria au secours… Épouvantés, nous abandonnâmes les deux enfants et nous prîmes la fuite… L’obscurité de la nuit, l’épaisseur du taillis, notre agilité, nous permirent d’échapper aux gendarmes pesamment montés ; au point du jour nous avions quitté la forêt, et nous suivions la route de Louvres, tournant le dos à Paris. Déçus dans nos tendances vers le bien, toutes nos mauvaises passions étaient revenues, plus vivaces, plus amères, plus haineuses que par le passé ; les refus, les mépris que nous avions essuyés, légitimaient à nos yeux notre funeste résolution dans le mal. Nous étions gais, railleurs, insolents ; chemin faisant, et allant droit devant nous, mais tournant seulement les grandes villes, où la police est plus vigilante, nous mendiions dans les villages, ou bien nous chantions dans les cabarets, dérobant çà et là ce que nous pouvions, tantôt du linge sur les haies, où on le laissait au sec, tantôt faisant main-basse sur les volailles égarées, etc., etc., et vendant pour quelques sous nos larcins, comme choses trouvées, et manquant rarement d’acheteurs sur les grandes routes ; couchant quelquefois dans une grange ou dans une écurie que l’on nous ouvrait par charité, nous passions d’autres nuits dans l’intérieur des meules de blé, où nous nous pratiquions un abri, car à l’automne avait succédé l’hiver. Jamais je n’ai connu les émotions du jeu ; mais Bamboche qui, plus tard, put disposer, par des moyens sinon criminels, du moins peu scrupuleux, de sommes considérables qu’il joua, perdant ou gagnant tour-à-tour, m’a dit, et je l’ai compris, que rien ne ressemblait davantage aux émotions du jeu que les continuelles alternatives de crainte et d’espoir, de frayeur et de joie, d’abondance et de privation, qui caractérisaient chaque jour de notre vagabondage. Où coucherions-nous le soir ? l’aumône serait-elle abondante ? les occasions de larcin favorables ? la recette des chansons de Basquine fructueuse ? Et si l’occasion de dérober se rencontrait, serions-nous pris ? Aussi, en dérobant, quelle anxiété, quelle terreur ! Et après avoir impunément dérobé, impunément vendu, quelle joie, quel orgueil, et surtout quelles moqueries du volé ! Nous ne passions presque pas de jour sans ces fiévreuses émotions. Le hasard, – l’imprévu, – ces deux mots résumaient notre vie ; or, j’ai vécu depuis dans des conditions bien diverses, et je ne me souviens pas d’avoir vécu, non plus heureusement, mais plus vite qu’à cette époque aventureuse de mon existence. Si, en dehors de la fatalité à laquelle nous obéissions, quelque chose pouvait racheter la honte et l’odieux de notre conduite d’alors, c’est que nous agissions avec une sorte d’espièglerie enfantine ; et pour parler le langage de cet âge, c’était peut-être encore moins des vols que des niches, dont nous nous glorifiions ; nous chipions, et le gendarme était pour nous ce que le maître est pour l’écolier révolté. Nous étions arrivés proche d’un village peu considérable ; nous l’avions découvert au loin dans la vallée, du haut d’une montée de la grande route, où s’élevait une croix de pierre. Le jour tirait à sa fin ; nous espérions trouver dans cet endroit un gîte pour la nuit, car le froid devenait cuisant ; nous étions au commencement de février. Passant à travers champs, nous atteignîmes bientôt les dernières maisons de ce village ; l’une d’elles, assez isolée, pauvre et misérable demeure, avait une fenêtre ouverte sur le sentier que nous suivions ; de l’autre côté du sentier s’étendait une genétière épaisse et fourrée. Bamboche marchait le premier, ensuite Basquine, et moi… Soudain Bamboche s’arrête, regarde attentivement par la fenêtre basse de la pauvre maison, fait un mouvement de surprise, et, se retournant vivement vers nous : – De l’argent !… – s’écrie-t-il tout bas, – plus de cent francs peut-être !… Et, d’un geste, nous recommandant le silence, il nous fit signe de nous approcher. Nous vîmes alors par la fenêtre une sorte de réduit séparé d’une écurie par des claies de parc à moutons, laissant entre elles un passage étroit. Bamboche, du bout du doigt, nous montra dans un coin de ce réduit un grabat sur lequel étincelaient, frappées par un rayon du soleil couchant, un amas de pièces de cinq francs. La maison était silencieuse ; à travers l’étable on voyait au loin la porte ouverte, qui donnait sur une cour remplie de fumier. Après un moment de réflexion. Bamboche nous dit : – Basquine, va faire le guet dans le sentier ; moi et Martin, nous entrerons dans la maison par cette fenêtre ; Martin ira fermer en dedans la porte de l’écurie, afin d’empêcher que je ne sois surpris pendant que je ramasserai les pièces de cent sous… ce qui demandera un bout de temps. – Ça va, – lui dis-je, – ramasse l’argent… je vais fermer la porte. – Et, en cas de poursuite, – reprit Bamboche, – ne pensons qu’à filer chacun de son côté ; nous nous rallierons au bout de trois ou quatre heures à la montée de la grande route d’où nous avons aperçu le village, vous savez, à l’endroit où il y a une grande croix de pierre. – Oui, – dis-je, ainsi que Basquine, – je sais l’endroit, j’ai remarqué la croix. Bamboche, faisant alors signe à notre compagne d’aller se mettre au guet au bout du sentier, sauta d’un bond dans le petit réduit par la fenêtre ouverte. Je le suivis, et pendant qu’il courait au grabat pour prendre l’argent, je m’élançai à la porte de l’écurie… j’allais tirer cette porte à moi, lorsqu’un homme, venant de la cour, et que je n’avais pu apercevoir, parut soudain, et, quoique un peu surpris, me dit doucement : – Que fais-tu là, mon enfant ? Au lieu de répondre, je poussai un cri d’alarme convenu avec Bamboche, et je me jetai aux jambes du nouveau-venu, les saisissant si violemment entre mes deux bras, qu’à cette attaque imprévue il perdit l’équilibre, tomba… et pendant quelques secondes il fit de vains efforts pour se relever, tant je me cramponnais à ses jambes avec acharnement. Je ne pouvais avoir long-temps l’avantage dans cette lutte inégale ; aussi cet homme, me saisissant bientôt d’une main vigoureuse, me fit sortir de l’écurie, et m’amena dans la cour, sans doute pour mieux m’examiner, ne soupçonnant pas alors qu’il venait d’être volé, et que j’étais complice de ce vol. Je suivis cet homme sans la moindre résistance ; je pensais avec joie que Bamboche et Basquine avaient le temps de fuir. – Ah çà ! – me dit Claude Gérard. C’était lui, et son accent annonçait plus d’étonnement que de colère. – À qui en as-tu ? Pourquoi venir te jeter ainsi dans mes jambes ? Puis me regardant plus attentivement : – Mais tu n’es pas du village ? Je restai muet. – D’où es-tu ? d’où viens-tu ? Je continuai de garder le silence, la prolongation de cet interrogatoire assurant de plus en plus la fuite et l’impunité de mes complices. – Voyons, mon enfant, – me dit Claude Gérard, avec une paternelle douceur, – explique-toi… ceci n’est pas naturel… tu trembles… tu parais ému… tu es pâle… regarde-moi donc. Pour la première fois je levai les yeux sur Claude Gérard : Il était alors instituteur dans cette commune, fonctions qui, acceptées comme il les envisageait, équivalent à un imposant sacerdoce… Je vis devant moi un homme de trente ans environ, de taille moyenne, d’apparence robuste, misérablement vêtu d’une blouse rapiécée çà et là, ses pieds nus disparaissaient à demi dans des sabots garnis de paille ; il portait un vieux chapeau de feutre gris à fond plat et larges bords, pareil à ceux dont se coiffent les charretiers, ses traits prononcés n’avaient rien de régulier ; mais ils me frappèrent par leur expression de mélancolique douceur et de gravité. – Tu ne veux donc pas me répondre, mon enfant ? – continua Claude Gérard avec une surprise mêlée d’une légère inquiétude. – Mais j’y songe, – reprit-il soudain, – j’étais dans la cour depuis un quart d’heure, et je ne t’ai pas vu entrer… Comment te trouvais-tu dans l’écurie ?… Une idée soudaine venant alors sans doute à sa pensée, il s’écria : – La fenêtre de ma chambre était ouverte… et cet argent ?… Puis il ajouta par réflexion : – Non… c’est impossible… un enfant… Pourtant lorsqu’il s’est jeté à mes jambes… il a poussé un cri… un signal peut-être… En parlant ainsi, Claude Gérard m’avait repris par le bras ; il me fit traverser l’écurie, se dirigea précipitamment vers ce qu’il appelait sa chambre, y entra, jeta les yeux sur le grabat, et vit que l’argent avait disparu. Alors, me secouant...