E-Book, Französisch, 368 Seiten
Sue Les Mystères du peuple
1. Auflage 2021
ISBN: 978-2-322-38183-8
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
Tome I
E-Book, Französisch, 368 Seiten
ISBN: 978-2-322-38183-8
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
Histoire d'une famille de prolétaires à travers les âges. (16 volumes.) Tome I Introduction: Le casque du dragon - L'anneau de forçat ou La famille Lebrenn. 1848-1949. La faucille d'or ou Hêna, la vierge de l'île de Sên. An 57 avant Jésus-Christ. Le ton de cette immense fresque historique et politique est donné par son exergue: «Il n'est pas une réforme religieuse, politique ou sociale, que nos pères n'aient été forcés de conquérir de siècle en siècle, au prix de leur sang, par l'insurrection.» Les Mystères du peuple est l'histoire rétrospective, de 57 avant Jésus-Christ à 1851, de la famille Lebrenn. À la veille de la conquête de la petite Bretagne par César, cette famille vit paisiblement près des pierres de Karnak. La défaite de la bataille de Vannes marque le début de la servitude pour les descendants de Joel, le brenn (chef) de la tribu de Karnak. À l'esclavage imposé par les Romains, succède l'oppression physique exercée par les Franks puis la domination morale exercée par l'Église qui prône que ceux qui souffrent dans ce bas monde seront récompensés dans les cieux. Au fil de l'Histoire chaque représentant de cette famille devra affronter un nouvel oppresseur pour reconquérir la liberté originelle de ses ancêtres.
Marie-Joseph Sue dit Eugène Sue, né le 26 janvier 1804 à Paris et mort en exil le 3 août 1857 à Annecy-le-Vieux, est un écrivain français. Il est principalement connu pour deux de ses romans-feuilletons à caractère social : Les Mystères de Paris et Le Juif errant.
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LA FAUCILLE D’OR ou HÊNA LA VIERGE DE L’ÎLE DE SÊN. AN 57 AVANT JÉSUS-CHRIST.
CHAPITRE PREMIER.
Les Gaulois il y a dix-neuf cents ans. – , le laboureur, chef (ou brenn) de la tribu de Karnak. – GUILHERN, fils de Joel. – Rencontre qu’ils font d’un voyageur. – Étrange façon d’offrir l’hospitalité. – Joel, étant aussi causeur que le voyageur l’est peu, parle avec complaisance de son fameux étalon, TOM-BRAS, et de son fameux dogue de guerre, DEBER-TRUDle mangeur d’hommes. – Ces confidences ne rendant pas le voyageur plus communicatif, le bon Joel parle non moins complaisamment de ses trois fils, GUILHERNle laboureur, MIKAËL, l’armurier, ALBINICK, le marin, ainsi que de sa fille HÊNA, la vierge de l’île de SênAu nom d’Hêna, la langue du voyageur se délie. – On arrive à la maison de Joel.
Celui qui écrit ceci se nomme JOEL, le brenn de la tribu de Kanak ; il est fils de Marik, qui était fils de Kirio, fils de Tiras, fils de Gomer, fils de Vorr, fils de Glenan, fils d’Erer, fils de Roderik, choisi pour être chef de l’armée gauloise qui, il y a deux cent soixante-dix-sept ans, fit payer rançon à Rome. Joel (pourquoi ne le dirait-il pas ?) craignait les dieux, avait le cœur droit, le courage ferme et l’esprit joyeux ; il aimait à rire, à conter, et surtout à entendre raconter, en vrai Gaulois qu’il était. Au temps où vivait César[1] (que son nom soit maudit), Joel demeurait à deux lieues d’Alrè[2], non loin de la mer et de l’île de Roswallan, près la lisière de la forêt de Karnak, la plus célèbre forêt de la Gaule bretonne. Un soir, le soir du jour qui précédait celui où Hêna, sa fille… sa fille bien aimée lui était née… il y avait dix-huit ans de cela… Joel et son fils aîné, Guilhern, à la tombée du jour, retournaient à leur maison, dans un chariot traîné par quatre de ces jolis petits bœufs bretons dont les cornes sont moins grandes que les oreilles. Joel et son fils venaient de porter de la marne dans leurs terres, ainsi que cela se fait à la saison d’automne, afin que les champs soient marnés pour les semailles de printemps. Le chariot gravissait péniblement la côte de Craig’h, à un endroit où le chemin très-montueux est resserré entre de grandes roches, et d’où l’on aperçoit au loin la mer, et plus loin encore l’île de Sen, île mystérieuse et sacrée. – Mon père, – dit Guilhern à Joel, – voyez donc là-bas, au sommet de la côte, ce cavalier qui accourt vers nous… Malgré la raideur de la descente, il a lancé son cheval au galop. – Aussi vrai que le bon Elldud[3] a inventé la charrue, cet homme va se casser le cou. – Où peut-il aller ainsi, père ? Le soleil se couche ; il fait grand vent, le temps est à l’orage, et ce chemin ne mène qu’aux grèves désertes… – Mon fils, cet homme n’est pas de la Gaule bretonne ; il porte un bonnet de fourrure, une casaque poilue, et ses jambes sont enveloppées de peaux tannées assujéties avec des bandelettes rouges. À sa droite pend une courte hache, à sa gauche un long couteau dans sa gaîne. – Son grand cheval noir ne bronche pas dans cette descente… Mais où va-t-il ainsi ? – Mon père, cet homme est sans doute égaré ? – Ah ! mon fils, – que Teutâtès t’entende[4] !… Nous offririons l’hospitalité à ce cavalier ; son costume annonce qu’il est étranger… Quels beaux récits il nous ferait sur son pays et sur ses voyages !… – Que le divin Ogmi[5], dont la parole enchaîne les hommes par des liens d’or, nous soit favorable, père ! Depuis si longtemps un étranger conteur ne s’est assis à notre foyer ! – Et nous n’avons aucune nouvelle de ce qui se passe dans le reste de la Gaule. – Malheureusement ! – Ah ! mon fils ! si j’étais tout-puissant comme Hésus[6], j’aurais chaque soir un nouveau conteur à mon souper. – Moi, j’enverrais des hommes partout voyager, afin qu’ils revinssent me réciter leurs aventures. – Et si j’avais le pouvoir d’Hésus, quelles aventures surprenantes je leur ménagerais, à mes voyageurs, pour doubler l’intérêt de leurs récits au retour !… – Mon père ! mon père ! voici le cavalier près de nous. – Oui… il arrête son cheval, car la route est étroite, et nous lui barrons le passage avec notre chariot… Allons, Guilhern, le moment est propice ; ce voyageur doit être nécessairement égaré, offrons-lui l’hospitalité pour cette nuit… nous le garderons demain, et peut-être plusieurs jours encore… Nous aurons fait une chose bonne, et il nous donnera des nouvelles de la Gaule et des pays qu’il peut avoir parcourus. – Et ce sera aussi une grande joie pour ma sœur Hêna, qui vient demain à la maison pour la fête de sa naissance. – Ah ! Guilhern ! je n’avais pas songé au plaisir qu’aurait ma fille chérie à écouter cet étranger… Il faut absolument qu’il soit notre hôte ! – Et il le sera, père !… Oh ! il le sera… – reprit Guilhern d’un air très-déterminé. Joel, étant alors, de même que son fils, descendu de son chariot, s’avança vers le cavalier. Tous deux, en le voyant de près, furent frappés de ses traits majestueux. Rien de plus fier que son regard, de plus mâle que sa figure, de plus digne que son maintien ; sur son front et sur sa joue gauche, on voyait la trace de deux blessures à peine cicatrisées. À son air valeureux, on l’eût pris pour un de ces chefs que les tribus choisissent pour les commander en temps de guerre. Joel et son fils n’en furent que plus désireux de le voir accepter leur hospitalité. – Ami voyageur, lui dit Joel, – la nuit vient ; tu t’es égaré, ce chemin ne mène qu’à des grèves désertes ; la marée va bientôt les couvrir, car le vent souffle très-fort… continuer ta route par la nuit qui s’annonce, serait très-périlleux ; viens donc dans ma maison : demain tu continueras ton voyage. – Je ne suis point égaré ; je sais où je vais, je suis pressé ; range tes bœufs, fais-moi passage, – répondit brusquement le cavalier, dont le front était baigné de sueur à cause de la précipitation de sa course. Par son accent il paraissait appartenir à la Gaule du centre, vers la Loire. Après avoir ainsi parlé à Joel, il donna deux coups de talon à son grand cheval noir pour s’approcher davantage des bœufs du chariot, qui, s’étant un peu détournés, barraient absolument le passage. – Ami voyageur, tu ne m’as donc pas entendu ? – reprit Joel. – Je t’ai dit que ce chemin ne menait qu’à la grève… que la nuit venait, et que je t’offrais ma maison. Mais l’étranger, commençant à se mettre en colère, s’écria : – Je n’ai pas besoin de ton hospitalité… range tes bœufs… Tu vois qu’à cause des rochers je ne peux passer ni d’un côté ni de l’autre… Allons, vite, je suis pressé… – Ami, – dit Joel, – tu es étranger, je suis du pays : mon devoir est de t’empêcher de t’égarer… Je ferai mon devoir… – Par Ritha-Gaür ! qui s’est fait une saie[7] avec la barbe des rois qu’il a rasés[8] ! – s’écria l’inconnu de plus en plus courroucé, – depuis que la barbe m’a poussé, j’ai beaucoup voyagé, beaucoup vu de pays, beaucoup vu d’hommes, beaucoup vu de choses surprenantes… mais jamais je n’ai rencontré de fous aussi fous que ces deux fous-là ! Joel et son fils, qui aimaient passionnément à entendre raconter, apprenant par l’étranger lui-même qu’il avait vu beaucoup de pays, beaucoup d’hommes, beaucoup de choses surprenantes, conclurent de là qu’il devait avoir de charmants et nombreux récits à faire, et se sentirent un très-violent désir d’avoir pour hôte un tel récitateur. Aussi, Joel, loin de déranger son chariot, s’avança tout auprès du cavalier, et lui dit de sa voix la plus douce, quoique naturellement il l’eut très-rude : – Ami, tu n’iras pas plus loin ! Je veux me rendre très-aimable aux dieux, et surtout à Teutâtès, le dieu des voyageurs, en t’empêchant de t’égarer, et en te faisant passer une bonne nuit sous un bon toit, au lieu de te laisser errer sur la grève, où tu risquerais d’être noyé par la marée montante. – Prends garde… – reprit l’inconnu en portant la main à la hache suspendue à son côté. – Prends garde !… Si à l’instant tu ne ranges pas tes bœufs, j’en fais un sacrifice aux dieux, et je t’ajoute à l’offrande !… – Les dieux ne peuvent que protéger un fervent tel que toi, – répondit Joel, qui en souriant avait échangé quelques mots à voix basse avec son fils ; – aussi les dieux t’empêcheront-ils de passer la nuit sur la grève… Tu vas voir… Et Joel, ainsi que son fils, se précipitant à l’improviste sur le voyageur, le prirent chacun par une jambe, et, comme ils étaient tous deux extrêmement grands et robustes, ils le soulevèrent comme debout...