E-Book, Französisch, 200 Seiten
Floquet / Noël Anecdotes Normandes
1. Auflage 2023
ISBN: 978-2-322-48907-7
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
E-Book, Französisch, 200 Seiten
ISBN: 978-2-322-48907-7
Verlag: BoD - Books on Demand
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Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
Ce livre n'est pas un simple fac-similé, mais le texte a été entièrement revu, corrigé et annoté. Quelque part entre Guy de Maupassant - pour le côté Normand - et Alphonse Daudet pour le style primesautier - lavande et farigoule en moins -, on découvre la Normandie procédurière, mais aussi de légende, à travers l'humour caustique et frais d'un spécialiste de la chose judiciaire. Certaines anecdotes remontant au Moyen Âge, mises au goût du XIX° siècle, hier, par un auteur à (re)découvrir.de toute urgence, sous une plume incomparable.
Amable Floquet (1797-1881), Rouennais, fait son droit à Caen. Il entre à la toute nouvelle Ecole des Chartes en 1821, pour être employé au département des Manuscrits de la Bibliothèque royale (expérience qu'il utilisera ici), avant d'occuper le poste de Greffier en Chef près la Cour royale de Rouen. .
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Anecdotes Normandes
La Harelle de Rouen (Sédition en 1381) Les journées des 26 et 27 février 1381 avaient été signalées, à Rouen, par les scènes les plus tumultueuses. C’était alors que, sous le nom de Charles VI, à peine âgé de treize ans, quatre tuteurs avides, les ducs de Berry, de Bourbon, de Bourgogne et d’Anjou, perpétuant, doublant, au profit de leur insatiable avarice, des impôts que Charles V avait abolis à son lit de mort, pressuraient, avec une infatigable cruauté, un pays épuisé déjà par plus de trente années de guerre. Partout, en France, les peuples s’indignaient ; partout ce n’étaient que souffrances, murmures, révoltes et massacres. Mais à Rouen, plus qu’ailleurs, ces exactions incessantes devaient pousser le peuple à bout. Le roi défunt, longtemps duc de Normandie, n’avait-il pas vécu de longues années dans cette ville ? Y avait-il un de ses habitants qui eût perdu le souvenir de Charles-le-Sage et de son incomparable douceur ? Ce roi, mourant, avait légué son cœur à sa ville de prédilection ; et avec quels respects, avec quels transports de reconnaissance et de douleur avait été accueilli ce dernier gage de l’amour d’un bon prince, qui, à son heure suprême, avait aboli des impôts onéreux au peuple ! Et puis, lorsque la province allait sécher ses larmes et renaître à l’aisance, au bonheur, tout à coup des officiers du fisc, des traitants avides étaient venus dans les halles, sur les marchés de Rouen, rétablir, en grand appareil, leurs bureaux de recette ; exigeant, plus durement que jamais, des taxes plus élevées encore que les anciennes ; vexant, emprisonnant, dépouillant les pauvres qui, à grande peine, avaient du pain. Ah ! parmi le peuple de notre ville, l’indignation avait été grande, l’explosion soudaine et terrible. Chasser les receveurs et les traitants, renverser les bureaux, mettre en pièces les registres et les rôles des taxes nouvelles, avait été l’ouvrage d’un instant ; puis, les portes de la ville avaient été closes ; les chaînes tendues à l’extrémité de toutes les rues ; et, pendant ces premiers mouvements, avant-coureurs de scènes plus tragiques, dans la tour du beffroi de l’Hôtel de Ville s’agitait la cloche de la commune, dont les tintements précipités et lugubres appelaient, à grands cris, les ouvriers drapiers, tous les gens de métier, tous les vagabonds, pour qu’ils eussent à venir en hâte délibérer sur les affaires de la cité ; car on avait fait taire les bourgeois qui voulaient prêcher la prudence ; et ceux-là prévalaient aujourd’hui dans les conseils, qui proféraient le plus haut des paroles de sang, qui avaient des bras nerveux et étaient couverts de haillons. Un instant, Robert Deschamps, maire en exercice, avait voulu se montrer et haranguer cette populace en colère ; mais, presque aussitôt, il lui avait fallu s’enfuir. Hélas ! quelques jours avant ces désordres, quels respects universels eussent accueilli partout le maire de Rouen, lui qui, à la cour du Roi, marchait à l’égal des comtes ; qui, dans sa ville, n’était pas seulement le chef des assemblées de la commune, mais juge, et juge souverain en matière de meuble et d’héritage, ayant son prétoire, ses gardes, ses prisons ! Et lorsque, au jour de Noël, la cloche du Beffroi sonnant, ce magistrat suprême se rendant solennellement à l’Hôtel de Ville, allait prendre possession de la mairie, environné de ses douze pairs, de ses douze prud’hommes, escorté de ses trente-deux sergents revêtus de leurs grandes robes de livrée, alors, dans la foule innombrable qui se pressait sur son passage, il n’était nul si hardi qui n’ôtât son chaperon en toute hâte, et qui n’inclinât humblement la tête. Mais au-jourd’hui, son tour était venu de s’humilier et de se taire ; ce prétoire ou ses prédécesseurs et lui avaient rendu la justice, il venait d’être renversé de fond en comble : sa geôle avait été forcée, ses prisonniers délivrés, ses pairs et ses prud’hommes insultés, ses trente-deux sergents mis en fuite ; et pas un d’eux n’eût osé marcher dans Rouen, la verge en main, avec sa robe de livrée ; car maintenant le peuple voulait régler lui-même ses affaires et tout voir par ses yeux. Toutefois, à cette multitude en délire qui, depuis deux jours, s’épuisait en cris inutiles, il sembla tout à coup qu’il lui fallait un roi qui autorisât ses désordres et rédigeât en lois ses caprices et ses fureurs ; mais c’était un roi de son choix qu’elle voulait, un roi son esclave, un roi son ouvrage, son instrument passif et docile. « Le roi de France ni ses conseillers ne pourraient faire un peuple (criait-on de toutes parts), mais un peuple fera bien un roi ! Or sus, Jehan Le Gras, laisse là ta boutique et ta draperie ; mets sur ta tête cette couronne, sur tes épaules ce manteau royal, qui servirent l’autre semaine, lorsque fut joué le mystère du roi Salomon ; prends aussi le sceptre ; bien ! Monte maintenant sur ce charriot, puis marchons, et nous saurons bien te dresser quelque part un trône. » Et le cortège, se mettant en marche aux acclamations discordantes d’une populace enivrée, parcourut toutes les rues de la ville, et arriva dans l’aître3 de Saint-Ouen, près de la croix. Là un trône fut élevé en peu d’instants, et le nouveau roi y fut assis, tremblant, pâle de terreur ; car, si simple que fût cet homme, il voyait bien qu’il était le sujet du peuple ; or un peuple en délire est un maître redoutable. Et puis maintenant va commencer le règne du roi d’un jour, Jehan Le Gras, premier de ce nom. « Sire, lui crièrent mille voix ensemble, les impôts nous grèvent : ne veux-tu pas qu’ils soient abolis comme l’avait ordonné Charles-le-Sage ? — Oui, bégaie le fantôme de roi ; j’octroie l’abolition des impôts. » À l’instant, sur toutes les places, dans toutes les rues de Rouen, dans les halles, dans les marchés, retentirent ces mots, toujours magiques aux oreilles des peuples : « Plus de tailles, plus d’impôts, plus de taxes ; vous serez francs et libres de toutes charges ! — Et les officiers des aides, les agents du fisc, ces traitants, insatiables sangsues ; les juifs, ces juifs infâmes surtout, à qui un régent avare et sacrilège permet d’habiter la France, malgré les édits, parce qu’ils le gorgent d’or ; ces usuriers, enfin, qui, s’ils ne sont pas juifs, sont bien dignes de l’être, Sire, ne veux-tu pas que justice en soit faite ? — Faites, faites justice », balbutia le monarque tremblant. Cent bourreaux partirent, les bras nus, la hache à la main ; quelques instants après, il n’y avait plus, dans Rouen, de receveurs, d’agents du fisc, de juifs, d’usuriers ni de traitants, et la Seine coulait sanglante sous le vieux pont de Mathilde. « Nous n’avons plus de maire, de pairs ni de prud’hommes, et Dieu en soit loué ! reprit le peuple, parlant toujours au roi son esclave. Mais ces maires prévaricateurs, qui, durant l’année et jour de leur pouvoir, se sont montrés si durs, et n’ont eu ni cœur ni entrailles pour les pauvres souffrants, est-ce que justice n’en sera jamais faite ? — Faites, faites justice », dit le roi d’un jour. Alors, dans la rue du Grand-Pont, dans la rue Damiette, dans la rue aux Gantiers, des maisons furent assaillies, pillées, démolies, rasées au niveau du sol. C’étaient les demeures d’Eudes Clément, maire en 1371 ; de Guillaume Alorge, maire en 1376 ; de Jehan Trefflier, maire en 1377 ; de Guillaume de Maromme, maire en 1380 ; de Robert Deschamps, maire en exercice. On vit s’écrouler aussi les hôtels de quelques riches bourgeois, de quelques prêtres, dont l’opulence désespérait une populace haineuse et jalouse. Hélas ! les infortunés étaient allés se réfugier, tremblants, dans des cimetières ; et bien leur en avait pris, car le peuple allait s’échauffant toujours davantage, et les bourreaux l’avaient suivi, bras nus, brandissant leurs glaives tranchants et leurs haches aiguisées. Cependant, le nouveau roi était toujours...




