E-Book, Französisch, 146 Seiten
De Cervantes Histoire de l'admirable Don Quichotte de la Manche
1. Auflage 2022
ISBN: 978-2-322-42911-0
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
E-Book, Französisch, 146 Seiten
ISBN: 978-2-322-42911-0
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Miguel de Cervantès, né le 29 septembre 1547 et enterré le 23 avril 1616. Il est un romancier, poète et dramaturge espagnol, célèbre pour son roman L'ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, publié en 1605 et reconnu comme le premier roman moderne.
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CHAPITRE III
De l’agréable manière dont le
seigneur don Quichotte se fit
armer chevalier par son hôte
Notre aventurier, tourmenté de l’inquiétude que je viens de dire, abrégea son maigre repas ; et sortant de table assez brusquement, emmena l’hôte dans l’écurie, où, après avoir fermé la porte, il se jeta à genoux et lui dit avec transport : « Je ne me lèverai jamais d’ici, valeureux chevalier, que votre seigneurie ne m’ait accordé un don que j’ai à lui demander, et qui ne tournera pas moins à sa gloire qu’à l’avantage de tout l’univers. » Celuici, bien étonné de le voir à ses pieds et de s’entendre traiter de la sorte, le regardait sans savoir que faire ni que dire, et s’opiniâtrait à le faire lever ; mais ce fut inutilement, jusqu’à ce qu’il l’eût assuré qu’il lui accorderait ce qu’il espérait de lui. « Je n’attendais pas moins de votre courtoisie, répondit dont Quichotte. Le don que je vous demande et que vous me promettez si obligeamment, c’est que demain, dès la pointe du jour, vous me fassiez la grâce de m’armer chevalier, et que cette nuit vous me permettiez de faire la veille des armes dans la chapelle de votre château, pour me préparer à recevoir cet illustre caractère que je souhaite avec tant d’ardeur, et qui me mettra en état d’aller chercher les aventures par toutes les parties du monde, en donnant secours aux affligés, et châtiant les méchants selon les lois de la chevalerie errante dont je fais profession. »
L’hôte qui, comme j’ai dit, était un matois, et qui soupçonnait déjà quelque chose de la folie du chevalier, acheva de se confirmer dans sa pensée par ces dernières paroles, et pour se préparer de quoi rire, résolut de lui donner contentement. Il lui dit donc qu’il avait très bien rencontré dans son dessein ; qu’il ne pouvait jamais mieux choisir, et que rien n’était plus digne des chevaliers d’importance tel qu’on le jugeait être à sa bonne mine ; que lui-même dans sa jeunesse s’était adonné à cet exercice, allant en diverses parties du monde chercher les aventures, n’ayant pas laissé un coin dans les faubourgs de Malaga, dans les îles de Riaran, dans le compas de Séville, dans les marchés de Ségovie, dans l’oliverie de Valence, dans la place de Grenade, dans la plage de San-Lucar, au port de Cordoue, et dans les moindres cabarets de Tolède, où il n’eût exercé la légèreté de ses pieds et la subtilité de ses mains, et qu’enfin il s’était retiré dans ce château, où il vivait de son revenu et de celui des autres, recevant tous les chevaliers errants, de quelque qualité et condition qu’ils fussent, par la seule affection qu’il leur portait, et pour partager avec eux ce qu’il avait de bien, en récompense de celui qu’ils faisaient dans le monde.
Il ajouta qu’il n’avait point de chapelle dans son château pour y faire la veille des armes, parce qu’il l’avait fait abattre à dessein d’en bâtir une plus belle ; mais qu’il savait bien qu’en cas de nécessité on veillait où l’on voulait, et qu’il le pouvait faire cette nuit dans une cour du château, qui était comme faite exprès ; que le matin on achèverait la cérémonie, en sorte que dans cinq ou six heures il pourrait s’assurer d’être aussi chevalier que chevalier qu’il y eût au monde « Portez-vous de l’argent ? ajouta-t-il. – De l’argent ? dit don Quichotte ; pas un sou, et je n’ai jamais lu en aucune histoire de chevalier errant qu’un seul en ait porté. – C’est en quoi vous vous trompez, dit l’hôte ; car si l’on n’en trouve rien dans les livres, c’est que les auteurs ont cru que cela s’en allait sans dire, et qu’on ne s’imaginerait jamais que les chevaliers errants eussent pu manquer à une chose aussi nécessaire que celle d’avoir de l’argent et des chemises à changer. Ainsi ne doutez pas que tant de chevaliers errants, dont les livres sont pleins, n’eussent toujours la bourse bien garnie en cas de besoin, et qu’ils ne portassent aussi du linge et une boîte pleine d’onguent pour les blessures ; car se trouvant en des combats terribles au milieu des bois et des déserts, vous jugez bien qu’ils n’avaient pas toujours à point nommé des chirurgiens pour les panser, et ils seraient morts mille fois avant qu’il en passât un, à moins que d’avoir quelque sage enchanteur pour ami, qui leur envoyât dans une nue quelque demoiselle ou quelque nain, avec une fiole pleine d’une eau de telle vertu, qu’en en mettant seulement une goutte sur le bout de la langue, ils se trouveraient aussi sains et aussi frais que s’ils n’eussent pas eu le moindre mal. Mais, parce que cela n’était pas sûr, ils ne manquaient jamais d’ordonner à leurs écuyers de se pourvoir d’argent et d’autres choses nécessaires, comme d’onguent et de charpie ; et s’il arrivait même qu’un chevalier n’eût point d’écuyer (ce qui était pourtant bien rare), il portait lui-même cette provision dans quelque valise, proprement accommodée sur la croupe du cheval, qu’elle ne paraissait presque pas. Ainsi, ajouta l’hôte, je vous conseille et vous ordonne même, comme à mon fils de chevalerie que vous allez bientôt être, de ne marcher jamais sans argent et sans les autres choses nécessaires, et vous verrez que vous vous en trouverez bien lorsque vous y penserez le moins. »
Don Quichotte l’assura qu’il suivrait son conseil, et aussitôt il se disposa à faire la veille des armes dans une grande cour qui était à côté de l’hôtellerie. Il les ramassa donc toutes et les posa sur une auge auprès d’un puits, et embrassant son écu, et la lance au poing, se mit à se promener devant l’auge d’un air agréable et fier tout ensemble. Il était déjà nuit quand il commença ce bel exercice, et l’hôte qui avait envie de se réjouir, apprit à tous ceux qui étaient dans l’hôtellerie la folie de notre homme, ce que c’était que la veille des armes, et l’impatience qu’avait don Quichotte d’être armé chevalier. Tous ces gens, bien étonnés d’une si étrange espèce de folie, voulurent en avoir le plaisir, et regardant de loin, ils virent don Quichotte qui, d’une contenance grave et posée, tantôt se promenait, et tantôt appuyé sur la lance regardait du côté des armes, y tenant assez longtemps les yeux arrêtés.
Cependant la nuit s’éclaircit, et la lune répandit une lumière si vive que l’on put voir distinctement tout ce que faisait le chevalier. Il prit en ce même temps-là fantaisie à un des muletiers qui étaient dans l’hôtellerie d’abreuver ses mulets, et pour cela il fallait qu’il ôtat les armes de dessus l’auge. Mais don Quichotte, le voyant arriver et connaissant son dessein, lui cria d’une voix haute et fière : « Ô qui que tu sois, téméraire chevalier qui as la hardiesse d’approcher des armes du plus vaillant de ceux qui ont jamais ceint l’épée, prends garde à ce que tu vas faire, et ne sois pas si hardi que de toucher ses armes, si tu ne veux laisser la vie pour châtiment de ta témérité. » Le malavisé muletier ne fit pas grand cas des menaces de don Quichotte ; au contraire, comme s’il l’eût fait par mépris, il prit les armes et les jeta aussi loin qu’il put. Alors don Quichotte, levant les yeux vers le ciel et s’adressant mentalement à sa maîtresse : « Secourez-moi, madame s’écria-t-il, dans cette première occasion qui s’offre à votre esclave, ne me refusez pas votre protection dans cette aventure. » En disant cela, il se défit de son écu, et prenant sa lance à deux mains, il en donna un si grand cou sur la tête du téméraire muletier, qu’il l’étendit à ses pieds, et en si mauvais état, qu’il ne lui en fallait qu’autant pour n’en pas revenir. Ce premier exploit étant achevé, don Quichotte ramassa ses armes, les remit sur l’auge et recommença à se promener comme auparavant.
L’hôte, en homme avisé, voyant que la folie du chevalier était plus dangereuse qu’il ne l’aurait cru, résolut de faire la cérémonie...