E-Book, Französisch, Band 1, 248 Seiten
Etat des lieux et perspectives de la recherche
E-Book, Französisch, Band 1, 248 Seiten
Reihe: Studien zu den Literaturen und Kulturen Afrikas
ISBN: 978-3-89896-725-9
Verlag: wbv Media
Format: PDF
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Hans-Jürgen Lüsebrink Introduction Le concept de ‹postmodernité› revêt en Afrique et pour les littératures et cultures africaines une signification différente, voire radicalement autre que celle qu’il a reçue, depuis une quinzaine d’années, en Occident.[1] S’il est possible de parler de ‹postmodernité› dans le contexte africain, en l’occurrence dans le contexte des littératures francophones d’Afrique, ce concept paraît étroitement associé au concept de ‹postcolonialisme› et à l’évolution des représentations de l’époque postcoloniale dans les littératures et cultures de l’Afrique Subsaharienne. Cette évolution est caractérisée, d’abord, par le profond désillusionnement né dans le sillage des indépendances africaines dont les promesses ont été trop souvent cruellement déçues, que l’on voit thématisé dans les littératures et cultures africaines depuis la fin des années soixante. Les œuvres pionnières de Yambo Ouologuem (Le devoir de violence, 1968), d’Amadou Kourouma (Les soleils des indépendances, 1968) et d’Ayi Kwei Armah (The Beautiful Ones are not yet born, 1968) sont symptomatiques de la profondeur de l’écho que ce désillusionnement a suscité dans l’espace littéraire. Elles furent suivies notamment par toute une série de romans, de poèmes et de pièces de théâtre mettant en scène et discréditant les dictateurs d’Afrique, et l’imaginaire sanglant du pouvoir qui leur était propre se trouvait en opposition radicale avec les promesses démocratiques des lendemains des indépendances: plusieurs romans d’Henri Lopes (Le pleurer-rire, 1982), d’Alioum Fantouré (Le cercle des tropiques, 1972) et d’Ahmadou Kourouma (Allah n’est pas obligé, 2000) ainsi que toute l’œuvre de Sony Labou Tansi qui sera au centre de plusieurs contributions à ce volume, en témoignent. Les littératures africaines, en l’occurrence de langue française, ont ainsi donné une inflexion spécifique à cet ensemble de théorèmes à la fois esthétiques et épistémologiques que l’on englobe sous le terme de ‹postmoderne›. Ses composantes majeures – la mise en cause du concept ontologique de culture, l’effritement du sujet comme entité autonome, la remise en question de la notion de progrès et des idéologies qui en découlent et la fragmentarisation d’unités pensées jusqu’ici comme monolithique et souveraines, comme ‹Histoire›, ‹Société›, ‹Nation›, ‹Réalité› – se voient ainsi reconsidérées de manière significative, et culturellement spécifique. Les contributions réunies dans ce volume en dessinent, à partir d’études de cas généralement focalisées sur un ou deux auteurs caractéristiques, quatre voies paradigmatiques. Le concept de postmodernité incite en premier lieu à repenser les rapports interculturels des littératures africaines avec les littératures européennes coloniales et postcoloniales. De récentes études critiques, mais aussi des romanciers comme Ahmadou Kourouma (dans Monné, outrages et défis, 1990, par exemple) visent à mettre en cause et à dégager la complexité profonde de ces relations conçues, dans le sillage des luttes anticoloniales et de la décolonisation, généralement comme des rapports d’opposition où des catégories comme ‹authenticité› ou ‹identité› sont associées aux littératures africaines les opposant aux visées coloniales et exotiques d’œuvres d’auteurs européens sur l’Afrique. Pierre Halen montre ainsi, dans sa contribution portant sur le conte Ngando (1948) de l’auteur congolais Paul Lomami-Tchibamba, qui reçut un prix belge de littérature coloniale, que l’écriture africaine émergente permet plusieurs lectures et s’inscrit dans des rapports à la fois de dépendance et d’appropriation de la culture occidentale et des modèles d’écriture et de représentations (des ‹réalités› africaines) qu’elle véhicule, et dans des réactions de rejet (plus ou moins explicite) et de prise de distance. Le même auteur est analysé, dans la contribution de Susanne Gehrmann, à partir d’une autre partie de son œuvre portant sur l’histoire du Congo, comme porte-parole d’une nouvelle historiographie africaine ayant recours à la fiction et présentant une vision à rebrousse-poil (ou ‹réécriture›) des événements de la conquête coloniale. János Riesz focalise son attention sur deux ouvrages romanesques contemporains, parus tous deux pendant la seconde moitié des années 1970, l’un de l’écrivain français Patrick Grainville (Les flamboyants, 1976) et l’autre de l’auteur congolais Sony Labou Tansi (La vie et demie, 1979). Il montre, à partir d’une analyse du paratexte et de l’écriture des deux ouvrages qui proposent chacun une représentation des réalités de l’Afrique contemporaine, les différences radicales qui les séparent. Celles-ci résident en particulier dans l’écriture. Elle est d’emblée pittoresque et exotisante dans le cas de Grainville, auteur à grand succès en France et lauréat du Prix Goncourt en 1978, et interculturelle et expérimentale dans le cas de Sony Labou Tansi dont l’écriture fait percer constamment l’hypotexte culturel et langagier des réalités africaines que l’auteur vise à représenter (ou plutôt à transcrire) en langue et écriture françaises. Isaac Bazié interroge, dans son étude sur les prix Nobel de littérature, les rapports entre littératures africaines et champs culturels occidentaux à partir de la réception de ces littératures et des filiations institutionnelles et interprétatives que celle-ci implique. Il montre, à partir des choix du jury de Stockholm qui a attribué le prix Nobel de littérature non pas à Léopold Sédar Senghor, comme beaucoup s’y attendaient, mais à l’auteur nigérien Wole Soyinka, dans quelle mesure cette décision était fondée sur une interprétation spécifique de l’œuvre de Senghor et une trop étroite assimilation entre homme et œuvre, carrière politique et carrière littéraire de l’écrivain et homme d’Etat sénégalais. L’interculturalité textuelle des littératures africaines, dont l’exploration implique la nécessité de repenser à la fois les rapports entre cultures africaines et cultures occidentales, coloniales et postcoloniales, et cultures orales et écrites, constitue certes une deuxième caractéristique de leur postmodernité. Partant du fait que leur structure (ou texture) interculturelle est constitutive pour la genèse même des littératures africaines en langue française, ce qui fut conceptualisé dès l’époque coloniale à travers des notions comme ‹métissage› et ‹culture franco-africaine›[2], la production littéraire africaine de ces deux dernières décennies, et la critique y relative, ont ouvert pour la recherche une nouvelle dimension. Celle-ci est explorée, dans les contributions du présent volume, par plusieurs études portant sur différents champs des littératures africaines de langue française. L’étude de Pascale Solon sur l’œuvre de l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf, qui fut longtemps rédacteur du journal Jeune Afrique, montre ainsi que sa dimension interculturelle réside non seulement dans son écriture, mais aussi dans sa conception de la culture (comme foncièrement composite et multilinguistique) et dans sa vision de l’histoire qui fait éclater les cadres territoriaux, notamment nationaux, hérités des mouvements coloniaux et nationalistes des XIXe et XXe siècles. Claudia Ortner-Buchberger étudie l’inscription, tant sur le plan de la théorie que sur celui de l’écriture, d’une nouvelle perception de la culture comme foncièrement hétérogène et multiple, dans des textes autobiographiques de Patrick Chamoiseau et de V. Y. Mudimbe. Petra Kassler situe, pour sa part, l’œuvre de Mouloud Feraoun (Algérie) par rapport à la production littéraire coloniale française, notamment de l’Ecole d’Alger des années 30, afin de dégager sa particularité qui réside dans la volonté de présenter une nouvelle image de son pays natal, différente du regard colonial, quasi ‹ethnographique›, et plus proche des réalités sociales et culturelles de l’Algérie, et en particulier de la Kabylie. Cette approche plaçant son œuvre dans le contexte non seulement politique, mais aussi discursif de l’époque coloniale, permet ainsi de rendre justice à un auteur trop souvent ‹banalisé›, voire ‹désapprouvé› par la critique, comme P. Kassler le souligne au début de son étude. Sélom Komlan Gbanou étudie, à travers de nombreux exemples, les formes d’africanisation du français qui constituent autant de moyens pour mettre en cause l’hégémonie normative de la langue francaise, de rompre avec elle tout en gardant des liens profonds. Justin Kalulu Bisanswa, enfin, propose dans sa contribution une approche interculturelle des littératures africaines qui prend en considération, de manière systematique, la pluralité des codes, des références et des réalités socio-culturelles et politiques dont elles sont constituées. Cette perspective méthodologique est en particulier illustrée à travers les genres de l’autobiographie et du roman caractérisé à la fois par des formes de ‹réinterprétation de l’histoire› et la réécriture de genres écrits et oraux. Les rapports intergénériques et intermédiatiques forment un troisième axe d’interrogation qui pourrait...